Fragment II – Texte critique
Dans ce second fragment, Michel Gathier -critique d’art et journaliste- propose une lecture sensible et libre de mon travail.
Il y explore les échos, les brèches et les persistances, dans un regard qui n’est pas le mien, mais qui m’a touché.
Franck Saïssi, or the Crossing of the Mirror
Voici l’histoire d’un monde renversé tel que Lewis Carroll l’imagina dans «De l’autre côté du miroir». C’est sur ce miroir-là que le réel se dépose et se dédouble avant de se transformer à travers les méandres d’une fiction. Si bien que le miroir se brise, que les perspectives se désagrègent et que chacun de ses éclat extirpe la mémoire de l’armure du réel qui alors se fend. Ici elle se parsème de lignes indistinctes, celles des angoisses ou des rêves et celles du souvenir de l’art – ce terreau sur lequel toujours l’artiste compose sa propre histoire.
Franck Saïssi gathers all these ruins, exhumes them, and brings them to light. He X-rays them, recomposes them in the light of past masters to contemplate this negative where only lines, stains, and color sketches remain to depict the framework of a story within which, nevertheless, we behold ourselves.
This broken mirror reflects vanishing lines like so many vanishing points. And streaks like stammerings. Or the infusion of emptiness at the heart of the storm. Somewhere, it is the silence of faces that answers absence. And architectures unfold over the ruins of a sky without cloud or sun. The images then respond only to those shores where everything we know of art is stranded, with its theatrical scenes in the return of the eternity of mythologies, heroic gestures, or the silence of still lifes. The artist restores the decomposed signs as fragments to reconstruct the representation of our own mental image, where the truth of our gaze is played out.
Le cadre demeure toujours un enfermement dans l’espace. S’en libérer, telle serait l’utopie vertigineuse à laquelle l’artiste se confronte mais il sait que c’est à l’intérieur de cette clôture, à l’égal de la grammaire en tout langage, que tout pourtant recommence et qu’il ne s’agit donc que d’y introduire un vocabulaire nouveau pour d’autres voyages dans le temps. Si les dessins illustrent cette page originelle avec leurs fonds géographiques ou leurs visages emmurés, la peinture ne cesse de le hanter et Franck Saïssi excelle à ces débordements de l’un vers l’autre.
An explorer’s work to elucidate these underground passages between shadow and the forms it shapes. As if one must always escape, find a gap toward the light. And slip through it, climb the rigging of impossible perspectives to grasp the beating heart of space. Always going further, layer after layer, to gather samples of life and meaning.
Les œuvres, instinctivement, se lisent comme un poème lumineux à la nuit, à ce qu’elle possède et à ce qu’elle distille. Dans ce qui pourrait suggérer des ruines abandonnées, inutile pourtant d’y rechercher quelque fantôme. A moins que le cadre de chaque image ne restitue enfin le spectre qui hante chacun de nous, tapi dans les profondeurs de nos propres angoisses et désirs.
If the composition of the painting ensures an extreme balance, we must expect it to be disturbed by the enigma it contains. The painting is often shrouded in a monochrome mist as if the color were absorbed by the form. Lines cut through space while the shades sponge it up, as if to cauterize the wound. Drawings and paintings, behind the scenes of meaning, clash in a great struggle that stirs heaven and earth for chipped faces and gutted palaces.
Franck Saïssi est dessinateur et peintre et il sait, dans l’interaction de la ligne et de la couleur, introduire les fractures du réel et de tous les stéréotypes qui le conditionnent. Aussi, parfois, l’apparition d’une référence cinématographique accentue cet impression de brouillage que l’artiste mêle à d’autres effets de superposition entre balafres et fondus délicats. L’image se refuse pourtant obstinément à toute anecdote dans ce face à face tendu avec la matérialité de l’œuvre tant on attend d’elle qu’elle se dévoile. Mais on comprend déjà, dans ce jeu de miroir, qu’il nous revient de nourrir l’œuvre de notre propre regard pour que celle-ci prenne vie. Et toutes ces images s’impriment soudain sur l’écran vide où s’écrit notre propre fiction.
Michel Gathier
Critique d’art, journaliste