15 février 2011
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Tout allait bien
je venais de lire quelques pages de mon livre de chevet: « Violence et Sacré » de René Girard, j’étais détendu en m’endormant, en pensant aux sacrifices rituels et a notre bon vieux système judiciaire, j’étais bercé par les histoires d’Ajax, d’Ulysse et peu à peu j’allais rejoindre mes rêves de Londres futuriste: J’allais enfin pouvoir retrouver le métro aérien ultra design qui m’avait pourtant la nuit précédente foutu la trouille. Seulement c’était sans compter cet enfoiré de chat.
Ce vilain félin avait tout prémédité, il a attendu qu’on s’endorme pour reprendre sa crise: Il s’est mis a gratter à la fenêtre comme un décérébré surexcité. Je l’avais pourtant enfermé dehors toute la journée, pensant que ça le fatiguerait assez pour qu’il nous laisse dormir.
J’ai été encore bien naïf, je hais la naïveté, ça m’énerve, surtout en peinture mais dans la vie aussi. Maintenant j’ai peur de retourner me coucher. Je me dis il va attendre que je m’endorme de nouveau, et comme L l’a laissé sortir, il va vouloir rentrer.
Dans ma tête ça tourne en boucle, Girard, sacré, sacrifices, violences, chats, brasiers, poils de chats brûlés, primitifs, système judiciaire, chat-christ en croix. J’ai envie de le faire cuire, de l’envoyer en Chine par colissimo. Là bas il grattera pas aux portes, il finira au curry.
Tout allait bien
j’étais détendu, je dormais à 22 heures, j’allais être en forme demain matin pour commencer ma journée de peinture, j’aurais eu la forme pour aider mes élèves à finir leur pastel, mais non, tout est tombé à l’eau à cause d’un machin de 50 cm de long, plein de poils, équipé de moustaches ridicules. L’amant de ma femme, un chat même pas foutu d’attraper un oiseau grippé.
Pourtant tout allait bien mieux ces derniers temps: les chiens sont tranquilles, ils ont maintenant une niche-palace, une vraie cabane avec un auvent végétalisé. Le petit l’aime tellement qu’il squatte toute la journée sous le auvent, sa croquette entre les pattes au cas ou. La grande l’aime aussi, elle dort toute la journée dedans. Elle y a même fait sa réserve de bouts de bois pour jouer, elle n’a qu’un seul problème existentiel: lequel choisir?
Les oiseaux dans le mimosa se pointent régulièrement pour un bon gastro dans leur maison au milieu des branches fleuries. Les poules sont sympas, une ancienne de la batterie de Drap fait sa caïd, elle nous boufferait les mollets au moment du repas, mais c’est un réflexe conditionné par la dalle, rien de bien méchant. Elles nous font 4 oeufs par jour, en plein hiver c’est qu’elles ne sont pas à plaindre.
Tout allait bien
Les mites ne se montraient plus. Elles se sont sûrement cachées dans la puante buanderie, mais pour l’instant elles marchent à l’ombre. J’avais presque fini de retaper le salon, plâtre, enduit, peinture, dans quelques jours on allait pouvoir pendre la crémaillère dans un salon nikel. Je sens que c’est plutôt le chat que je vais pendre.
Un Monsieur sympa m’a contacté pour me proposer une expo dans un quartier ou j’avais un atelier dans le temps, son délire de galerie me plait: art et poésie, j’aime bien la poésie, surtout Bukowsky, ça me donne une chiasse salutaire.
Tout allait bien
et il a fallu que ce con de chat vienne troubler mon ataraxie. Il a fallu qu’un quadrupède, con comme un cêpe vienne gratter toutes les 2 heures à la fenêtre de la chambre que j’ai retapé, me file un cafard terrible, alors que j’étais en train de rêver à Londres.
A Londres je me baladais, je pouvais me foutre des bobos, surtout des femmes du monde sophistiquées. A Londres j’avais réussi à échapper aux bandes de jeunes qui avaient décidées de bastonner les amis de Banksy. Pourtant y’en avait un qui devait bien faire dans les 150 kilos de muscles, le corps balafré de partout. Il se baladait en short, il était calme: tu pouvais le chambrer, il bronchait pas.
A Londres j’avais commencé une toile, qui représentait un cadavre exquis: Il avait un pull marin, une tête de con espagnol, il gisait là dans une rue, je contemplais son cadavre avec un sourire aux lèvres, c’était comme dans le livre de Girard, un retour aux sources en quelques sortes, le retour à une société sans système judiciaire.
Tout allait bien
j’avais fini cette peinture au scalpel, l’huile attachait à la toile comme le sang de ce bouffon des affaires culturelles au macadam. Cornette de Saint Cyr avait beaucoup aimé, il l’avait mise aux enchères et en avait tiré un bon prix. Cette toile serait mon premier et dernier meurtre, le meurtre d’un espagnol faux cul prisonnier de mon esprit.
Je préparais en silence mon futur assassinat à l’huile, peinard, je sombrais dans le sommeil pour retrouver ma bonne vieille bande de potes tarés, mais il a fallu que ce chat fiche tout à l’eau.
Tout allait bien
Car lui ne le voyait pas du même œil. Il aime sortir le soir après qu’on se soit endormis. Il se sent fort, il peux aller faire son moine shaolin dans le jardin des voisins, se cacher derrière un buisson pour surprendre un ennemi implacable: une pauvre souris ou un scolopendre. Il se dit qu’il va enfin réussir à en attraper un, le broyer, s’en faire une boule de ping-pong, il rêve dans sa tête de chat comme moi dans ma tête d’ail. Il répète sans cesse les attitudes à adopter: le dos rond, le ventre à plat dans les herbes, il frétille de la queue en pensant à la victime qu’il n’arrivera jamais à attraper.
Tout allait bien
mais il a fallu qu’on tombe sur un chat niais.
Une fois son cinéma terminé, il revient et recherche son fauteuil. Il passe par la chatière, se retrouve devant la porte fenêtre en double vitrage blindé. Alors il gratte, il gratte à mort jusqu’à ce qu’on lui ouvre, excédés. Il bouffe 3 croquettes, bois un peu d’eau, se dit dans sa tête de chat « je l’aurais un jour… un jour je l’aurais », et il se recouche dans son fauteuil.
Deux trois heures plus tard il se relève, comme ce fainéant passe ses journées à pioncer, la nuit il ne peut pas dormir bien longtemps. Alors c’est reparti, il se prends de nouveau pour un super héros, il veut en découdre, il remet son costume de ninja et regratte à la porte pour sortir.
J’ai beau lui faire remarquer qu’il est 5 heures du matin, que dans une heure à peine L se lève pour aller bosser, lui il s’en cogne, il ne pense qu’a assouvir sa vengeance de chat.
En même temps je le comprends: moi aussi je suis un chat. J’ai envie de faire du mal à certaines personnes, de les griffer et de broyer leurs os jusqu’à ce qu’ils deviennent des grosses boulettes de chair. Alors je pourrais les pousser en bas de la rue, jusqu’à la déchetterie. J’imagine avec bonheur leurs corps explosés sous une presse mécanique, leur sang gicler partout autour, et la société entière tonner au cri de « vengeance »!
Seulement pour que ce soit intéressant, il faudrait que ce soit un sacrifice institutionnel. Sans ça ce serait juste un acte dément comme pour Ajax.
Le chat non plus il veut pas finir comme un canard aux WC. Manquerait plus que ça!
Bon, alors je vais aller me recoucher, et je vais essayer de pas lui en vouloir quand il me réveillera, ce qui ne tardera pas.
Mon chat et moi: deux anges. Il viendra se faire pardonner en ronronnant sur mon ventre. Dans nos yeux doux: des flammes, de la haine, la mort ressemblera à un biscuit.
Bien à vous,
Franck